Abdellah Taïa: la cause homosexuelle avance et cela énerve les intolérants

Ecrivain et chroniqueur, Abdellah Taïa est parmi les rares Marocains à revendiquer ouvertement son homosexualité. Il revient pour nous sur l'attentat d'Orlando, ses implications et sur l'homosexualité au Maroc.

Né à Salé en 1973, il est le premier marocain à avoir ouvertement révélé son homosexualité en 2007. Il est auteur de plusieurs livres dans lesquels il traite de l’homosexualité et il milite pour les droits de cette communauté. Dans cet entretien, il revient pour H24info sur la fusillade du 12 juin 2016 à Orlando (USA, Floride) au Pulse, une boîte de nuit gay très prisée. Les autorités américaines sont arrivées à la conclusion d’une attaque terroriste perpétrée contre la communauté homosexuelle. Le tireur, Omar Mateen, s’est revendiqué de l’organisation Etat islamique.

C'est la première fois qu'un attentat terroriste vise la population homosexuelle en particulier. Qu'est ce que cela traduit-il pour vous?

Abdellah Taïa: Malheureusement, ce n'est pas la première fois. D'autres attaques contre les homosexuels ont déjà eu lieu et ont lieu tous les jours un peu partout dans le monde. C'est juste qu'on n'en entend pas parler. Et ces attaques ne viennent pas uniquement des groupes terroristes islamistes. Non. Non. Il ne faut pas se leurrer: l'homosexualité est loin, très loin, d'être encore complètement acceptée dans le monde où nous vivons: aux USA comme au Maroc.

Bien sûr, les pays occidentaux accordent de plus en plus de droits aux gays mais on ne peut pas dire que les mentalités ont définitivement changé. Pas encore. Ces droits suscitent encore des réticences, des critiques, des attaques. Quant aux dirigeants des pays arabes et musulmans, ils persistent dans leur injustice, ils continuent de dire que l'homosexualité n'existe pas chez eux. C'est plus que de l'injustice d'ailleurs, ce sont aussi des attaques contre les gens différents. C'est entre autres cela qui autorise certains à insulter, tabasser, violer et tuer les homosexuels... Pour être objectif, je dirais que la cause homosexuelle avance (même au Maroc) et que c'est cela qui doit faire enrager les intolérants, les homophobes, les racistes. Et je ne parle pas uniquement de Daech.

Toutes les religions monothéistes semblent sanctionner l'homosexualité. Pensez-vous qu'il y ait une relecture possible afin de vivre son orientation sexuelle comme on le souhaite?

Les religions interdisent beaucoup de choses et pas seulement l'homosexualité... Voici ce qu'il faut faire: on doit demander aux hommes de cesser d'utiliser la religion pour maintenir le peuple dans l'ignorance et la soumission. On doit initier nous-mêmes (au Maroc comme ailleurs) le changement puisque le pouvoir tarde à le faire. La religion n'est pas une prison où l'on doit systématiquement jeter l'autre. La religion devrait être une affaire personnelle et non pas une arme pour nous maintenir petits, des enfants sans voix, toujours la tête baissée. Et puis, les traces de l'homosexualité dans l'histoire arabo-musulmane sont tellement nombreuses. Il faut ressortir cette mémoire de l'oubli.

Il y a eu un rassemblement solidaire à Rabat concernant l'attentat d'Orlando. Pensez-vous que de telles sorties permettent d'ouvrir le débat, notamment sur l'acceptation de la communauté homosexuelle au Maroc?

Le débat sur l'homosexualité au Maroc a commencé il y a au moins 10 ans. Les journalistes marocains y sont pour beaucoup. Les associations Kifkif, Mali et ASWAT LGBT ont énormément fait pour libérer les homosexuels. C'est très important de les soutenir aujourd'hui, encore et encore: ce qu'ils font est courageux, admirable et très important, pas seulement pour les homosexuels mais pour le Maroc tout entier. Mais, jusqu'à présent, le pouvoir fait comme si ce débat n'avait pas lieu, fait comme si les homosexuels marocains n'étaient pas, eux aussi des citoyens de ce pays. Jusqu'à quand ce silence et cette discrimination?